Le corps est là, meurtri, souillé par le sang. Déjà, le bord des plaies semble noircir, la putréfaction semble habiter le corps. On ne peut même plus appeler ça un corps. Déchiqueté, ouvert de toutes parts. Une vraie sculpture morbide. Triste tableau dans un morne paysage. Déjà, une foule s'amasse, jetant des coups d’œil inquiets autour d'eux. Mais qui a bien pu faire cela? Tous ici se posent cette même question. Les innocents tremblent dans un coin, tandis que les plus fous osent un sourire ravi. Moins de surveillance, plus de liberté. Absconsus fixe l'homme crucifié, impassible. Le goût du sang et de la mort, il l'a effleuré tant de fois. Il tourne autour du spectacle sanglant, le meurtrier est un vrai boucher. Bien courageux est celui qui a commis l'acte, il n'a pas peur des représailles. Les yeux du taxidermiste se baissent sur la femme qui verse ses larmes aux pieds du défunt. Le tableau est encore plus tragique – probablement un amour perdu. Absconsus demeure à distance, se contentant d'observer les réactions des autres habitants. Certains pleurent, d'autres semblent craindre le pire. Les plus fous ont un sourire démentiel peint sur leurs lèvres, ils ont l'air de se réjouir du spectacle sanglant. Mais certains ne ressentent aucune émotion, ils ont le visage pâle et fermé. Absconsus faisait partie de cette catégorie de personnes.

Il s’était adossé contre un mur, et contemplait la scène de loin, préférant rester à l’écart du monde, des autres. Non pas qu’il se sentait mal au milieu de tous ces meurtriers, violeurs, voleurs, coupables. Il expira un soupir, ses yeux vides se focalisant sur le cadavre. Une véritable boucherie, certainement pas la mort la plus douce et la plus agréable. Il avait dû hurler comme un cochon qu’on égorge. Absconsus tira sur son vieux haut sale. Un air un peu offusqué s’était peint sur son visage maigre : comment pouvait-on achever une personne dans de si horribles circonstances ? Lui avait toujours été dans le respect de l’art. Dans une pièce stérile avec des instruments propres, afin d’explorer chaque recoin de la face interne du corps humain. Il repensait alors à tous les doigts braqués sur lui : monstre, monstre, clamaient-ils d’une même voix haineuse. Lorsqu’on voyait cette boucherie, qui était le réel monstre ? Ses yeux parcouraient la place, à la recherche d’un suspect, de quelqu’un qui aurait pu commettre cet acte dénué d’humanité. Et tous semblaient coupables, au final. Qui était le vrai meurtrier, qui était celui qui avait osé franchir la ligne rouge pour répandre le sang à Falkenberg ?

Tic tac. Tic tac. C’était la douce mélodie qui le tirait de ses draps. Monotone, sans grand intérêt… Une horloge qui claquait au rythme des secondes. Lui qui descendait de son appartement haut perché pour partir en forêt. Besoin de s’isoler. Il avait besoin de s’isoler. Avec un peu de chance, aucun fou ne lui barrerait la route ce matin. Au cas contraire, il serait obligé de frapper. Toujours frapper, faire du mal… Pourquoi ? Certainement car ici, il n’y avait qu’une règle : tuer, ou se faire tuer. Il n’était pas des rampants, et par conséquent, il n’hésitait plus à envoyer la première offensive. Au diable ce qu’on pourrait penser de lui, il n’en avait strictement rien à faire. Les mains glacée dans les poches de son manteau sombre, il arrivait donc dans le cœur de Falkenberg, sur la place étoilée. Cette dernière était noire de monde. Que se passait-il ? L’exécution d’un fou psychopathe ? Ce serait bien une première, par ici. Mais pourquoi pas, si c’était pour calmer les pulsions meurtrières de certains.

Sauf qu’en arrivant, il fut plus que surpris. Ce n’était pas là une nouvelle animation pour sociopathes, mais un meurtre, un vrai. Le chef des brigadiers, crucifié au milieu de cette place massive. Pendu. Il était mignon, mais un peu pale, pas vrai ? Oui, Czeslaw était ironique et cynique, mais il aimait tant cela ! Si c’était lui qui avait attaqué ? Certainement pas. Il détestait profondément cet homme, mais il n’aurait pas sali ses mains de son sang, hors de question. Quoique… Non, il en aurait été hors de question ! Il ressortait tout de juste d’une semaine d’observation au centre de détention de Falkenberg… Il n’avait pas tellement envie d’y retrouver les matelas de pierre, et la nourriture froide que l’on y servait tous les soirs. Alors, non, pas de bêtises la veille pour lui.

Son regard balayait pourtant la place. Qui donc avait bien pu faire cela ? Qui donc était l’auteur de cette monstrueuse œuvre d’art ? Ce n’était pas propre, pas très beau. De l’art contemporain, dirait-on. Et l’autre pauvre folle qui gémissait sa douleur aux pieds de la victime… Elle ne pouvait pas se taire un peu ? C’était comme dans un musée : on devait observer en silence. Il se frayait donc un chemin à travers la masse de badauds, restant tout de même légèrement à l’écart du cadavre en putréfaction. Il avait morflé, le pauvre. Tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas être aussi abruti, à tous les prendre pour des fous sans intelligence… Il l’avait goûté, l’intelligence d’un malade mental, il l’avait payé de son sang, ce crétin. Bref, Cze restait juste discret, un léger sourire en coin. Qui donc, qui donc avait peint cette horreur ? Des murmures couraient sur la place, des sueurs froides parcouraient certains… Qui donc, qui donc était le meurtrier.

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