Tout allait horriblement mal. Depuis qu'elle était à Falkenberg, Bleuenn vivait une horreur. Sa petite vie d'étudiante sage était loin derrière elle, mais toujours bien présente dans sa mémoire. Et chaque matin, elle espérait ouvrir les yeux et reconnaître les murs protecteurs de sa chambre à New York. Chaque matin, elle espérait que tout cela n'était qu'un mauvais cauchemar. Mais son regard rencontrait toujours les murs sales de son taudis, et son coeur douloureux lui rappelait en permanence qu'il avait été brisé. Jamais plus elle ne retrouverai New York. Jamais plus elle n'aurait la sensation d'être en sécurité. Il fallait qu'elle s'habitue à cette idée, mais elle n'y parvenait pas. Et à chaque nouvel espoir de retrouver sa vie d'avant déçu, elle sentait un morceau d'elle se détacher et partir au loin. Bientôt, elle ne serait plus qu'une loque humaine incapable de la moindre pensée cohérente. Bientôt elle n'aurait plus d'âme. Ou du moins plus la force d'en avoir une. Elle tombait petit à petit dans les ténèbres, laissant les longs doigts glacés du désespoir renforcer leur étreinte sur son corps fragile.

Quelle injustice. Toute sa vie n'avait été que malheur. Elle avait encaissé chaque coup, chaque déceptions. Elle avait cru trouver la lumière grâce à l'amour, mais c'était cela qui avait précipité sa chute, qui avait fait d'elle une meurtrière. Il fallait donner un sens à sa présence à Falkenberg, ne pas laisser cet amour lui bouffer la vie. Se retrouver à Falkenberg par la faute de Noé révulsait Blue. Elle avait pourri sa vie pour ce traître, mais elle refusait de l'admettre. Il était plus simple, plus rassurant aussi, d'être soi même responsable de sa chute. Noé ne dicterait plus sa vie, c'était fini. Maintenant, Blue voulait avoir le pouvoir. Se sentir forte, maître de quelque chose.

Elle marche à pas lents dans la forêt, et se dirige vers le fracas des chutes éternelles. Elle a repéré sa proie. Une jeune femme qui ne doit même pas encore avoir fêté ses dix huit ans. Cela fait plusieurs jours qu'elle traîne autour des chutes, et plusieurs jours au Blue la suit, incapable de passer à l'action. Mais il faut qu'elle voit du sang sur ses mains. Il faut qu'elle soit plus forte. Parce que la vie est trop sombre, les enfers trop proches, et qu'il faut qu'elle agisse si elle ne veut pas devenir folle. Elle sait que la culpabilité viendra vite, qu'elle regrettera ses gestes, mais elle en a besoin. Pour ne pas tomber en lambeaux, pour que ce sentiment d'injustice s'estompe et cesse de la torturer. De toue manières, Falkenberg n'est pas un endroit pour la petite chose innocente qu'elle s'apprête à tuer. Ce sera comme si elle lui rendait un service.

Les bruit de l'eau frappant les roches est fort, à présent. Blue est proche des chutes. Elle peut même distinguer les reflets brillants de l'étendue d'eau. Elle s'approche jusqu'à la lisière des arbres. Et la jeune fille est là. Assise, dos à Blue, ne se doutant de rien. Elle semble fascinée par le ballet de la cascade. Blue s'approche, et en un mouvement, tout est fini. L'eau se teinte de rouge, Blue lâche sur le sol le couteau qui lui a servi à trancher la gorge de sa victime. Lentement, elle lève ses mains tremblantes devant son visage. Elle son pourpre et poisseuses de sang. Et pour la seconde fois, elle sent son coeur se déchirer, une partie de son âme s’envoler au loin. Ça n'a rien fait. Strictement rien. Pas de soupir soulagé, pas de réconfort. Elle ne se sent pas forte. Elle se sent salle, dégoûtante, horrible. Et cette horreur qui la prend devant ce qu'elle vient de faire et pire que le sentiment d'injustice qui l'habitait quelques secondes plus tôt.

Les larmes coulent abondamment sur ses joues, et prise d'un moment de frénésie paniquée, elle plonge ses mains dans l'eau glacée, pour ne plus voir se sang écarlate colorer ses mains pâles. Lorsqu'elle se retourne, elle croise les iris de sa victime. Regard absent, vide. Paupières ouvertes sur l'éternité. On ne lit ni douleur ni joie dans ces yeux là. Pas de peine, pas de pleurs. Et Blue comprend. Comprend que si elle ne peut être heureuse, elle peut au moins cesser de souffrir.

Elle tombe à genoux, et s'empare du couteau qu'elle a laissé tomber. Elle le regarde un moment, observe l'éclat froid que lui renvoie la lame parsemée de sang. Elle se voit dans cet éclat métallique. Elle voit son air pathétique, elle voit les sillons qu'ont formés ses larmes sur ses jours sales. Puis elle détourne ses yeux vers son poignet gauche, ou la lame vient glisser, y creusant une profonde entaille. Elle s'écroule, et ses cheveux blonds viennent se joindre à ceux du corps sans vie devant elle, s'entremêlant dans la mort.