PRÉNOM/PSEUDO ◭ kelynn/ikyrel. ÂGE ◭ 14 ans. COMMENT ES-TU ARRIVE SUR LE FORUM ◭ tralalala. TON AVIS SUR LE FORUM ◭ CREDIT ◭ tumbr ( bannière ) liv tyler ( musique ) baudelaire ( citation ) . UN DERNIER MOT ◭ prout. CODE DU RÈGLEMENT ◭ ok par Sto'.

J'ai peur. J'ai froid. Je me cache, je me recroqueville partout où je peux. Je m'écarte des gens. Ils semblent me regarder avec un minimum de compassion, l'air de se dire ''oh, qu'il est mignon, le petit.'' Ces gens-là me font peur, ils me rappellent des souvenirs atroces que je veux pouvoir arracher de ma tête. Je fixe les meurtriers avec les blancs des yeux. Emmenez moi derrière les barreaux. Je préfère les cages, je m'y sentirais en sécurité. Le refuge familier des trottoirs me manquent, des visages me manquent, la sécurité et la chaleur me manquent. Je n'ai pas changé de pays, et pourtant, j'ai l'impression d'être parti à dix mille kilomètres de chez moi. Tout diffère de la maison. Je n'ai pas de regrets, je ne me sens pas coupable. On m'a envoyé ici parce que j'ai essayé de survivre seul dans un monde de grands. Mais je ne suis qu'un enfant. Trop jeune, trop immature, trop perdu, trop seul. J'ai l'impression qu'on va me tirer une balle dans la tête à chaque coin de rue. Mais je suis normal, moi. Je n'ai pas à être là. Je suis dans l’incompréhension la plus totale, et mes gestes comme mes paroles sont dictées par mon instinct d'adolescent effarouché. On vient de m'ouvrir les grilles vers l'Enfer. Vers Falkenberg.

J'erre sur le trottoir, comme à mon habitude. Faire ce travail me déplaît, il me dégoûte, me répugne. Me faire caresser par des homos en manque, je n'en peux plus. Je crois qu'à un moment on finit par saturer, par dire stop. Au fond de moi, je sais que ce moment approche, et je l'attends avec impatience. Je m'appuie contre un mur, mes yeux tristes levés vers le ciel gris. Aujourd'hui, j'ai seize ans. Pas de cadeau, pas d'étreinte, pas même un '' joyeux anniversaire''. Un client m'accoste. Il est bien habillé, genre chemise cravate, les cheveux gominés, la quarantaine. Je ne sais pas pourquoi, mais il me dégoûte. Je lui fais pourtant un sourire avenant, et nous filons dans sa voiture jusque son appartement. C'est le genre de personne qui a besoin de s'évader avec des petits jeunes. Je les reconnais, ils sont facilement reconnaissables. On voit la différence et le désespoir dans leurs yeux. Pendant une heure ou deux, je serai l'esclave de ses désirs, il va jouir comme un fou, et je vais subir comme jamais. Je me mordrais les lèvres pour ne pas hurler à la révolte, à la colère. Et il me laissera meurtri de l'intérieur, et je n'aurais que mes yeux vides pour pleurer. Puis il me fera un sourire satisfait, me donnera de jolis billets. Au final je serais quand même content, parce que j'aurais eu assez d'argent pour acheter de quoi survivre.

Je rentre dans le placard minuscule où je dors la nuit. Je suis obligé de me baisser pour ne pas me cogner la tête contre le plafond trop bas. Un haut-le-cœur me prend. En vitesse, je vais dehors et crache ma gerbe derrière une poubelle. Tout le dégoût de la journée s'abat sur moi comme une averse de pluie. Mes yeux se noient de larmes, mais je me frotte les yeux rageusement. Je suis fort, je ne pleure pas, moi. Je retourne dans mon placard, m'allonge sur mon matelas inconfortable. C'est toujours mieux que de dormir à même le plancher, c'est un luxe, pour moi, ce matelas. Même si je m'arrange pour aller dormir chez mes clients, la plupart du temps, je suis ici. L'hiver, c'est horrible, je grelote dans le froid pendant des heures. Il me tiraille tellement que je ne dors pas.

Le lendemain soir, j'arpente le même trottoir que la veille. Le client d'hier revient, mais il a l'air un peu étonné de me revoir. J'entre de nouveau dans sa voiture, et le même manège se reproduit. C'est horrible. J'aimerais tellement fuir cet endroit, aller au lycée, rester avec des gens normaux, avoir un foyer, des frères, des sœurs. Ou même des parents, c'est trop demander, des parents ? Oui, je suis trop exigeant. Je pense à tout cela pendant les heures passées avec le client. Il est gentil, il m’héberge pour la nuit, sans me demander quelque ce soit. Il dit qu'il me trouve bien jeune pour faire ça. Je ne peux pas m'empêcher d'avoir un rire froid. Il y a des putes qui n'ont que treize ans. Je m'endors dans un lit propre avec des draps qui sentent bons. Par contre, je suis obligé de dormir avec lui. Mais c'est quand même le luxe, je ne me plains pas. Il m'a même offert à manger. C'est un bon client, lui. Même s'il ne me donne pas beaucoup, il me paie autrement, et je suis content.

Je passe pas mal de temps chez lui, j'apprends qu'il vit tout seul et qu'il est fonctionnaire dans un bureau de poste. Il s'appelle Björn. Il me demande comment je m'appelle, je lui dis tous mes prénoms, et je le vois sourire. Ouais, il est sympa. Je crois qu'il s'est prit de pitié pour moi, car il me demande de lui faire de moins en moins de trucs, et moi ça me rassure. Je fais beaucoup moins les trottoirs, mais je dois quand même y aller pour payer ma piaule ou m'offrir des trucs à manger que j'aime bien mais que Björn n'a pas. C'est un peu la vie de paradis chez lui, je suis presque heureux, même si je sais que je souffre d'un mal-être énorme. Des fois, quand je suis chez lui, je pleure en silence. Il me regarde, vient vers moi et demande si j'ai besoin de réconfort. Inconsciemment, je l'envoie promener. Même s'il est gentil, il m'effraie. J'ai l'impression qu'il oublie que je n'ai que seize ans.

Puis tout s'accélère. Rien ne va plus. Un jour, la police arrive chez lui. Ils m'embarquent, et lui aussi. Je ne comprends rien, j'envoie des regards paniqués à la ronde, mais il n'y a personne pour moi, personne pour m'aider. Encore une fois, je suis seul. Mes yeux se brouillent, mais je retiens les larmes. Björn m'a balancé aux flics. Ils me demandent depuis quand je me prostitue. Depuis que j'ai treize ans. Tu as de la famille ? Non, je vis dans un placard ou chez Björn. Ils m'expliquent alors que faire ce que je fais, c'est malsain. On ne vit pas chez quelqu'un qui a quarante ans alors qu'il n'est pas de la famille. J'ai de l'espoir, je me dis que c'est lui qui sera puni, et pas moi. Mais non. Ils m'engueulent, m'explique que c'est illégal, que je suis en tort. Ils croient n'importe quoi, que je prends n'importe quoi. Mais je suis déclaré coupable. Je connais ma faute. Un garçon de seize qui se prostitue, ce n'est pas envisageable. Je regarde Björn. Fronce les sourcils et lui crache aux pieds. « Connard. » Je suis odieux, mais il n'est pas mieux, le menteur. Les gendarmes m'assurent que je vais aller dans un endroit loin de toutes tentations. Je les crois. Imbécile. Naïf.