Les doigts enlacés reposant sur mes genoux, je regardais le remue-ménage familier autour de moi. Je ressentais comme à chaque fois cette tension sur mes épaules. J’étais sur le qui-vive, comme si au moindre instant tout pouvait m’arriver. Non, je n’étais pas sur un terrain de combat, au milieu du No Man’s Land. J’étais tout simplement en train d’attendre qu’on hurle mon prénom pour que je me précipite dans le décor du tournage. Je savais mon texte par cœur, les mouvements que je devais faire, tout. Mais cela ne m’empêcherait pas de me tromper, de faire quelque chose de travers, pire même de bafouiller. J’avais beau me dire que ça m’arrivait rarement, il n’en restait pas moins qu’à chaque fois je souffrais d’une nervosité extrême.
« Valentine ! » Je me levais précipitamment, le souffle court, les jambes tremblantes. Toujours la même angoisse alors que je faisais cela depuis mes douze ans. Ma nervosité était absurde, sans doute, mais personne ne semblait en avoir quelque chose à faire. Je levais ma main pour la passer dans mes cheveux, mais je me rappelai à temps qu’on venait juste de me coiffer et qu’il était hors de question de ruiner tout le travail. Je laissais alors glisser ma main le long de mon flanc, tentant de ne pas me mordiller la lèvre, de ne rien faire qui pourrait m'être reprocher. En quelques pas, je fus au milieu du décor, face aux caméras menaçantes. La lumière était trop forte. J’étais totalement éblouie. J’entendis une voix me criant de me mettre en place, ce que je fis mécaniquement. J’étais un simple jouet. Une poupée.
Un ‘action’ résonna dans l’air. Je fis deux pas, m’arrêtai, ouvris la bouche. Puis rien. Ce n’était pas un défaut de ma mémoire. Ca n’avait rien à voir avec un quelconque manque de volonté. Je ne pouvais pas. J’étais bloquée, totalement. Je sentis l’angoisse m’envahir peu à peu. Les yeux écarquillés, j’ouvrais et refermais ma bouche stupidement, statufiée. On hurla au loin un ‘coupez’ monstrueux, et je reprenais mes esprits. J’entendis des pas pressés venir dans ma direction, et je n’avais même pas besoin de regarder pour savoir exactement qui c’était. Une main glaciale se posa sur mon bras et me secoua violemment. « Mais enfin Valentine, qu’est ce qui se passe ? Secoue-toi un peu ! C’est ta chance de rentrer vraiment dans le cinéma. Tu n’as pas le droit de la laisser filer, tu m’entends ? Ne me fais pas honte, Valentine. » Et aussi froidement, elle s’en alla, me laissant terriblement seule avec ma peur irascible.
Je fermais les yeux, me murmurant à moi-même « Ton rôle, tu n’es plus Arcady, non, tu es Valentine, la prodigieuse actrice. Non, non, en fait tu n’es même plus Valentine, tu es cette fille, sur le papier, tu es ton rôle. Pire que ça, c’est ton rôle qui est toi. Voilà. Bien. » J’ouvris les yeux, totalement déconnectée du monde extérieur, focalisée sur mon rôle, uniquement ça. Comme par magie, j’étais devenue quelqu’un d’autre. Je n’entendis même pas le vague ‘action’.
Deux pas, le regard glacial, un rictus sur la bouche. Un rire hystérique, déchirant la nuit artificielle. Et l’autre fille, si belle, si ingénue. S’avancer. La rivière, juste à côté. Dans le script, il était marqué clairement que je devais la pousser dans l’eau. Non, pas moi, mon rôle. Moi, je devais faire semblant, poser mes mains sur sa poitrine, pousser mollement et attendre qu’on dise ‘coupez’ pour m’écarter. Mais je fis comme je devais dans ma tête. Je la poussai fermement. Malheureusement, l’eau qui coulait derrière elle était bien réelle. Et sa noyade le fut aussi.
Ce fut la première fois que je réussis à complètement m’aliéner. On parla d’un accident. Seulement, au bout du troisième film, de la troisième tentative de meurtre, de ma troisième aliénation, et de multiples crises d’hystéries, on décida, pour mon propre bien, qu’il était temps que je rejoigne les rangs des criminels.

Arcady Laeddis a écrit:

Ivanna : June ? Genre Julie ? Oh que si je me rappelle de toi tiens ! Je suis super contente de te retrouver ici